lundi 4 février 2013

Yves Bonnefoy


Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque, la poésie et l'espoir, car écrire de la poésie, c'est « rendre le monde au visage de sa présence ». Yves Bonnefoy



Une pierre

Ils ont vécu au temps où les mots furent pauvres,
Le sens ne vibrait plus dans les rythmes défaits,
La fumée foisonnait, enveloppant la flamme,
Ils craignaient que la joie ne les surprendrait plus.

Ils ont dormi. Ce fut par détresse du monde.
Passaient dans leur sommeil des souvenirs
Comme des barques dans la brume, qui accroissent
Leurs feux, avant de prendre le haut du fleuve.

Ils se sont éveillés. Mais l'herbe est déjà noire.
Les ombres soient leur pain et le vent leur eau.
Le silence, l'inconnaissance leur anneau,
Une brassée de nuit tout leur feu sur terre.

La pluie d’été, Les planches courbes, Yves Bonnefoy, Gallimard


"Et cet excès des mots sur le sens, ce fut bien ce qui m'attira, pour ma part, quand je vins à la poésie, dans les rets de l'écriture surréaliste. Quel appel, comme d'un ciel inconnu, dans ces grappes de tropes inachevables! Quelle énergie, semblait-il, dans ces bouillonnements imprévus de la profondeur du langage! Mais, passée la première fascination, je n'eus pas de joie à ces mots qu'on disait libres. J'avais dans mon regard une autre évidence, nourrie par d'autres poètes, celle de l'eau qui coule, du feu qui brûle sans hâte, de l'exister quotidien, du temps et du hasard qui en sont la seule substance; et il me sembla assez vite que les transgressions de l'automatisme étaient moins la surréalité souhaitable, au-delà des réalismes trop en surface de la pensée contrôlée, aux signifiés gardés fixes, qu'une paresse à poser la question du moi, dont la virtualité la plus riche est peut-être la vie comme on l'assume jour après jour, sans chimère, parmi les choses du simple. Qu'est-ce, après tout, que la langue, même bouleversée de mille façons, auprès de la perception que l'on peut avoir, directement, mystérieusement, du remuement du feuillage sur le ciel ou du bruit du fruit qui tombe dans l'herbe?" Yves Bonnefoy au College de France